Alors que les acteurs historiques puisent toujours plus dans leurs ressources intellectuelles et financières pour gagner en agilité dans leur modèle, leurs relations clients et ou leur management, les experts de la marque cherchent des réponses pour transformer une marque vieillissante — et parfois iconique—en vecteur de croissance. De fait, sur de nombreux marchés où régnaient autrefois en souverains incontestés certains acteurs historiques (les transports, la banque, l’hôtellerie…) qui se partageait assez de différenciation pour maintenir un status quo lucratif, ces mêmes acteurs autrefois rares et hégémoniques ont plongé, pour se retrouver en bas à droite dans la matrice de perception des marques* (et tout le monde sait qu’être en bas à droite d’une matrice n’est jamais bon signe). Qu’y trouve-t-on ? Les limbes. Les marques indifférenciées, incomprises… érodées.
*la matrice ci-dessous, qui compare la différenciation d’une marque d’un point de vue consommateur à sa taille (nombre et engagement de son public), est librement inspirée de la méthodologie du BrandAsset® Valuator.
La “théorie de la poulie”
Fort heureusement, il est possible de travailler sa pertinence et sa différenciation, à condition de savoir sur quels leviers agir.
On pourrait croire que la pertinence d’une marque pour un acteur historique et hégémonique revêt une valeur naturelle et immuable—comment justifier une position de leader s’il ne bénéficiait pas d’une connexion forte à sa cible ? Pourtant, si l’on prend l’exemple douloureux de la banque, des têtes brûlées comme Revolut, N26, ou encore Qonto, ont récemment levé des centaines de millions d’euros et continuent de convertir les clients de la banque traditionnelle, comme Apple a inlassablement conquis les plus fervents aficionados de Blackberry au lancement de l’iPhone.
Les besoins, les comportements et les critères de recommandation ont changé, et la pertinence n’est plus un actif immuable, mais un privilège.
Les besoins, les comportements, et les critères de confiance, de préférence et de recommandation ont évolué de façon brutale et permanente (merci aux générations X, Y et Z !) et la pertinence de la marque n’est plus un actif immuable mais un privilège qu’une entreprise se doit de reconquérir régulièrement en accord avec les évolutions de son marché.
Si l’on poursuit avec l’exemple du secteur bancaire, on constate que différenciation rime de plus en plus avec personnalisation. Un service “à la carte” exige des évolutions drastiques de la technologie (désormais disponible), de la réglementation (merci PSD 1 et 2 !) et de la gestion des ressources humaines et du staffing (le prochain grand défi de la banque). Et les acteurs traditionnels ne devraient pas attendre que tous les signaux passent au vert pour commencer à travailler sur leur prochain axe de différenciation. Créer de la préférence devrait être au centre des préoccupations des marques et, de facto, faire l’objet d’un process constamment alimenté, déployé et évalué.
L’innovation repose aujourd’hui sur de nouvelles organisations telles que les labs, les équipes projets dédiées, le conseil en innovation, les programmes d’intrapreneuriat, ou encore les fonds corporates. Toutes ces formes d’innovation présentent cependant des limites importantes, qui vont d’un processus d’idéation parfois réalisé à l’aveuglette, à des plans d’acquisition clairement risqués.
Chez La Fabrique by CA, nous pratiquons la création de startups soutenue par un grand groupe, et en l’espace de 2 ans et 5 lancements de startups, nous avons acquis suffisamment d’expérience pour attester que le modèle “startup studio” est une solution vers plus de diversification et plus de croissance.
La mission d’un startup studio est de trouver des idées de business prometteuses, à tester et à développer selon la traction du marché, avant de les confier à des entrepreneurs en interne qui les transformeront en startups à succès. Lorsqu’il est “corporate”, le studio porte l’innovation à l’initiative d’un groupe qui de son côté fournit son expertise sectorielle, son accès au marché et bien évidemment les fonds nécessaires à la création de startups.
En termes de marque et de messages, le startup studio doit s’assurer en amont du lancement de ses startups qu’elles sont alignées avec la vision du groupe, et soutenues par ses dirigeants et leurs équipes. Cependant, la difficulté de la pratique se traduit aussi par la nécessité de laisser aux startups une marge de manœuvre suffisante dans leurs signes et dans leurs discours pour parvenir à pénétrer un marché concurrentiel et connecter avec ses utilisateurs.
Alors, comment articuler efficacement la marque corporate et les marques des startups pour en tirer le meilleur parti ? C’est là qu’interviennent les “poulies”.
Les DVNB, intrinsèquement différentes
Les DNVB (digital-native vertical brands) s’illustrent par leur nature verticale hyper-spécialisée, qui permet aux startups suivant ce modèle de jouir d’une différenciation forte qui leur sert de base pour construire des produits et des services disruptifs.
Voilà pourquoi les DNVB se positionnent automatiquement en haut à gauche, dans la matrice de perception des marques.
Cela sous-entend que, sous réserve d’identifier les poulies adéquates pour “lier” efficacement dans l’esprit des consommateurs DNVB et grand groupe, ces marques pourraient se nourrir mutuellement et de façon positive, apportant différenciation et pertinence d’un côté, et confiance et stabilité de l’autre.
Identifier ces poulies exige autant de créativité que pour créer de nouveaux modèles d’entreprise pérennes, surtout sur des budgets serrés. Pourtant, le champ des possibles est infini, si l’on s’applique à aller au-delà de la réponse automatique, facile et d’une efficacité relative qu’est l’endossement direct de ladite start-up (“powered by CorporateX”, “part of the CorporateY Group”, etc.) :
- Il y a d’abord le classique discount pour les clients du groupe, qui pourront bénéficier d’une expérience premium à moindre coût auprès de la startup : une collaboration win-win, qui permet d’ouvrir ses fichiers clients, enrichir sa palette de services et proposer une expérience de marque positive et innovante ;
- Si vous bénéficiez, en tant que groupe, d’un large réseau de points de vente, pourquoi ne pas franchir la frontière du numérique avec la création d’un “startup corner” en boutique, où vos clients pourront s’informer sur les derniers services de vos startups et acquérir une vue d’ensemble de votre position sur le marché ;
- Une expérience online intégrée regroupant les messages de vos startups et du groupe (flux RSS, communiqués de presse et actualités, offres d’emploi et annonces produits) permettrait de partager harmonieusement vos canaux les plus efficaces et d’aider vos clients à saisir la logique de votre écosystème tout en faisant du lien entre vos marques un vecteur puissant et régulier de croissance.
Intégrer, ne signifie pas absorber. Les marques de vos DNVB doivent pouvoir vivre leur vie et porter leur propre voix afin de 1. Être en mesure de garder la main sur leurs canaux d’acquisition clients et 2. Infuser modernité et polyvalence dans la marque du groupe.
Intégrer ne signifie pas absorber.
La recherche de ce point d’équilibre devrait être au centre des préoccupations de tout startup studio ou “marketeur” en grand compte, afin de pouvoir tirer au mieux parti des valeurs historiques de la marque du groupe tout en y intégrant de nouvelles dynamiques portées par les startups.
Les startups studios sont un outil pour contrer la dilution des marques
L’exercice n’est pas simple, et exige nécessairement une grande flexibilité et une stratégie claire d’architecture de marques. Cependant, l’impact potentiel d’un tel “groupe étendu” via l’association de marques diverses est plus que prometteur et dessine un terrain d’innovation stimulant pour les professionnels du branding.
Nommer une équipe d’entrepreneurs en charge de créer des startups demande également de se poser régulièrement la question de ce qu’est la marque du groupe et des attributs que l’on accepte de partager avec des startups, qui auront pour mission de les développer et de les nourrir, loin du contrôle du groupe mais avec un impact direct sur sa marque.
Comprendre ou mettre en place des dynamiques de “propriété de marque partagée” n’est pas chose aisée. Pourtant, les promesses de cette approche en termes d’impact ou de différenciation sont telles qu’on peut imaginer qu’elle puisse en l’espace de 3 à 5 ans propulser de nouveau une marque érodée en position de leader sur son marché… et lui permettre de quitter une bonne fois pour toute la case “en bas à droite” de la matrice.