« Est-il possible de trouver un terrain d’entente entre ayants droit et concepteurs de modèles d’IA ? » C’est par cette question que s’ouvre l’étude de 36 pages publiée le 10 décembre par France Digitale sous le nom de « IA générative et droit d’auteur : quelle place pour les données européennes protégées à l’ère de l’IA ? » Une question que Marianne Tordeux Bitker, Directrice Affaires Publiques France Digitale, accompagne d’une conviction : « Nous sommes convaincus que céder à l’opposition entre innovation et culture est un vain combat qui risque de ne bénéficier ni aux entreprises européennes, ni aux producteurs de contenus. » France Digitale espère poser les premières pierres d’un pont qui pourrait les rassembler, mais est-il seulement possible de concilier ces deux mondes lorsque toutes les œuvres produites par l’humanité sont réduites au statut de simples données ?
Scraper, c’est voler
L’ensemble des IA génératives reposent sur des jeux de données massifs qui sont souvent collectés via de vastes opérations de scraping (technique de récupération automatique des données publiquement disponibles sur le web). Si les développeurs d’IA génératives sont le plus souvent réticents à partager la source de leurs données d’entraînement, c’est parce qu’il s’agit là d’un élément non négligeable de leur « recette secrète » pouvant expliquer la qualité (ou la ressemblance) des réponses issues de leurs créations.
Ce fonctionnement en boîte noire suscite peu de questions outre-Atlantique tandis qu’il est au cœur des débats en Europe où il entre en confrontation directe avec nos attentes en termes de protection des données et de droit d’auteur. Une différence culturelle et juridique qui pourrait bien avoir de lourdes conséquences pour les développeurs d’IA générative européens. Pour conserver la souveraineté numérique de notre continent, de nombreux espoirs sont nourris de voir une alternative européenne émerger face à ChatGPT d’OpenAI ou ses concurrents tels que Claude, Gemini et Copilot. Toutefois, et c’est le grand paradoxe de l’innovation, le respect d’un cadre juridique trop restrictif, notamment en matière de droit d’auteur, pourrait en empêcher son développement. Alors que faire ?
Faut-il créer un nouveau cadre juridique ?
Fidèle à sa réputation, France Digitale n’arrive pas simplement en lanceur d’alerte. L’association apporte une série de propositions en suggérant la création d’un nouveau cadre juridique pour les opérations de scraping en Europe, tout en partageant la valeur entre ayants droit et développeurs d’IA. Une vision qui sous -entend paradoxalement la marchandisation de toutes les œuvres culturelles, mais aussi une orientation de la création culturelle consciente ou non au bénéfice de ce nouveau modèle économique.
Car France Digitale milite pour légaliser les opérations de scraping sur le web, sans donner la possibilité d’opt-out qui permet aujourd’hui aux ayants droit de refuser celui-ci. Cette proposition probablement impossible à mettre en œuvre, qui s’accompagnerait d’un système de compensation forfaitaire des ayants droit par les fournisseurs de modèles d’IA générative. Un système qui s’inspire notamment de la compensation pour copie privée reconnu par le droit international et le droit européen.
En parallèle, France Digitale considère qu’il est aussi important de maximiser le corpus de données publiques en faisant notamment respecter la Directive de 2019 sur les données ouvertes qui impose que les données détenues par le gouvernement soient rendues accessibles publiquement. En effet, si cette directive existe au niveau européen, elle n’est pas mise en œuvre dans l’ensemble des pays de l’UE.
Le début d’un long chemin
Tout au long de l’étude, France Digitale se montre consciente de la complexité du sujet malgré quelques raccourcis. L’association souhaite pourtant faciliter la discussion entre les développeurs d’IA et des ayants droit réduits à des opérateurs de transactions. S’il n’est évidemment pas question de fouler du pied la protection des données ou de mettre des barrières à l’innovation pour nos développeurs européens, le chemin du compromis semble étroit.
Valentin Pringuay