16 Sep, 2024 | Article

Quentin Bizeau : 5 signaux faibles sur le marché du financement des startups

Quentin Bizeau est responsable Capital Innovation pour le Groupe Crédit Agricole. Il pilote les investissements VC du Groupe tout en suivant les opérations d’acquisition. Un rôle qui l’a amené à réaliser l’une des veilles les plus complètes sur les secteurs de la Fintech, Insurtech, Regtech, etc.

Le marché du financement des startups fin 2024

Nous avons rencontré Quentin Bizeau, responsable du Capital Innovation pour Crédit Agricole SA et la Fabrique by CA pour revenir sur son parcours, tenter de capter les signaux faibles et décrypter les grandes tendances du marché du financement des startups sur la fin d’année 2024.

Du graduate program au M&A

Quentin Bizeau n’avait initialement pas un profil de banquier. Ses études, il les a réalisées en science politique avec une spécialisation sur la géopolitique des pipelines. Après un passage chez Airbus Defence and Space, il rejoint le Crédit Agricole dans le cadre d’un Graduate Program.

« C’était le tout début de ma carrière. J’avais 23 ans et comme beaucoup d’étudiants généralistes, je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. J’ai rejoint ce programme pour sa promesse de tester plusieurs métiers au sein du Groupe et identifier ce qui m’intéressait. Le hasard m’a amené dans la filiale Assurances, un secteur vers lequel je ne serais pas allé naturellement mais qui m’a captivé. C’est un sujet qui touche l’ensemble de la population et qui nous amène à être au contact des assurés aux pires moments de leur vie. J’ai découvert un beau métier. J’y suis resté sept ans ! »

Les évolutions de poste de Quentin Bizeau l’amènent aussi à découvrir le monde du M&A. Entre 2019 et 2023 il s’occupe du M&A de Crédit Agricole Assurances à l’international dont le pilotage de l’acquisition des filiales d’assurances de Banco BPM. Il découvre les insurtechs et le monde des startups pendant cette période et rejoint début 2023 la nouvelle équipe de Capital Innovation qui est alors en train de se monter dans la direction des Nouvelles Activités de Crédit Agricole SA afin de développer les investissements du Groupe dans les fintechs.

« J’assure le pilotage des opérations de croissance externes du sourcing au closing, que ce soient des prises de participation ou des acquisitions ainsi que le pilotage des fonds de VC fintech / insurtech du Groupe (300M€ gérés au quotidien par un VC partenaire).

La Fabrique by CA, historiquement le startup studio du Groupe, est la pierre angulaire du dispositif. Les startups acquises ou en participation minoritaire y sont adossées et elles bénéficient de son équipe d’Operating Partners. Le studio joue un rôle de traducteur entre la dixième banque mondiale et les startups. Ses équipes maîtrisent aussi bien les codes de l’écosystème startups que les rouages du grand groupe bancaire.

Avec la Fabrique et la direction des Nouvelles Activités, nous couvrons l’intégralité du périmètre du Groupe avec un focus particulier sur les fintechs. Conjointement avec les Métiers, nous sommes potentiellement amenés à intervenir sur toutes les verticales.  Il faut donc connaître tous les sujets des différentes entités, être au courant des besoins et de la réalité du marché. Cela implique d’aller parler à l’ensemble des parties prenantes. »

Un esprit toujours en veille

Pour les besoins de son métier, Quentin se retrouve donc à échanger au quotidien avec la plupart des fonds d’investissement de la place, les banques d’affaires, les clubs de business angels, mais aussi les startups en direct. Pour suivre en permanence les dynamiques de marché et bénéficier d’une source de benchmark à jour, il a créé une base de données qui référence aujourd’hui environ 6000 startups (fintechs, insurtechs, proptech et regtechs).

« Je fais cette veille en permanence, et j’alimente cette base chaque jour. Cette veille est un sous-produit de mon activité, essentiel à celle-ci, mais elle éclaire aussi mes interlocuteurs du Groupe et du Studio sur les dynamiques de marchés. »

Grâce à cette veille, Quentin détecte certaines tendances du marché en avance de phase. Questionné sur les signaux faibles et forts sur ce marché de l’investissement en 2024, il en cite rapidement cinq qui lui semblent importants :

1. Le retour en force des acteurs institutionnels dans les opérations

« Pendant quelques années, on a vu une présence assez faible des institutionnels dans les levées de fonds et dans les acquisitions. Cela s’explique assez facilement : les corporates n’étaient pas le choix numéro 1 des startups (trop lents, trop exigeants et peu valorisants) et la présence d’une banque au capital d’une fintech pouvait « teinter le capital » limitant les opportunités avec des concurrents. De plus, dans un environnement de valorisation élevées, les corporates étaient réputés « mauvais payeurs ». Un institutionnel ne pouvait pas sortir des tickets de 50 millions d’euros pour 8 % du capital d’une startup.

Mais ce monde est derrière nous. Maintenant que les valorisations ont baissé et que certains gros fonds américains et asiatiques se sont retirés d’Europe, il y a un vrai retour en force des institutionnels dans ces opérations. C’est un fait assez marquant. En tant que banque traditionnelle, nous sommes aux premières loges pour constater cette dynamique. Nous ne captons pas encore tous les deals mais désormais une grande part des dossiers de levée de fonds passe dans nos mails. »

 2. Le CFO Tech Stack captent une part croissante des levées de fonds

« Depuis un an et demi, les startups qui digitalisent les outils pour les Directions Financières (le « CFO Tech Stack » dans le jargon) représentent une part croissante des opérations (en nombre et en valeur) et ce sur toutes les géographies. Depuis le début de l’année, cela représente environ 20 % des levées de fonds (en nombre), ce n’est pas négligeable sachant que c’est un secteur qui n’est pas encore mature. C’est un secteur stratégique pour le Groupe et pour la Fabrique by CA qui s’est positionnée assez tôt sur cette verticale avec notamment Kolecto (outil collaboratif de gestion financière pour les TPE et PME).

3. Le secteur de la PropTech est à la croisée des chemins

« C’est pour moi le secteur le plus sinistré en ce moment. La contraction du secteur (marché immobilier, construction) a fortement limité l’appétit des investisseurs pour ce secteur. Le nombre de deals et la valorisation des proptech se sont effondrés. Parallèlement nous assistons à un nombre important de faillites et de cessions à la casse. Les seules startups qui semblent surnager dans ce contexte sont celles qui adressent la décarbonisation de la construction et l’ensemble des solutions pour répondre aux enjeux de conformité ESG. A l’échelle mondiale, la France et l’Europe sont pionnière sur ce segment et ont clairement un coup à jouer. » 

4.  La crypto et le web3 sont des mondes à part

« L’intérêt des investisseurs traditionnels s’est essoufflé pour les sujets Web3/crypto/blockchain. Les fonds généralistes se sont détournés du secteur et certains fonds dédiés n’arrivent plus à lever. Les scandales de l’an dernier ont fortement impacté le secteur. Les levées de fonds de ces acteurs ne se sont cependant jamais taries. Les startups Web3/Crypto continuent de lever énormément d’argent chaque mois. Il s’agit pourtant d’un écosystème qui est en chambre : ce sont des fonds crypto qui investissent dans des boîtes crypto. On se retrouve donc avec un écosystème parallèle avec ses propres acteurs. »

5. Un très fort endettement des startups

« Principal enseignement de ces derniers mois, l’endettement des startups en Europe devient un problème et notamment en France ! Pour beaucoup de startups en difficulté, les PGE (Prêt garanti par l’État), ont juste permis de retarder l’échéance. Même chose avec les dettes à Bpifrance qu’il faut bien rembourser un jour. Certains acteurs du financement ne regardent même plus certaines opérations parce que la startup est trop endettée. C’est une épée de Damoclès au-dessus du secteur avec des startups qui font des tours de table où 90 % des fonds levés vont servir à rembourser leurs dettes. Le sujet n’est plus de nourrir la croissance. Dès lors, l’exit devient souvent la seule solution. Bien souvent l’actif est de qualité, ce sont donc des dossiers que nous regardons avec intérêt. »

Dans un marché encore difficile tant sur le financement que sur les exits, le Groupe Crédit Agricole et La Fabrique by CA ont prouvé ces dernières années la force de leur modèle notamment avec l’acquisition de Worklife. N’hésitez pas à contacter Quentin Bizeau sur Linkedin ou par mail pour échanger sur vos projets de levée de fonds ou de M&A.

Valentin Pringuay