Le secteur des paiements est l’un de ceux qui a été le plus bousculé ces dernières années, par des évolutions réglementaires mais aussi par des innovations technologiques, dans un contexte de développement effréné du e-commerce. Mung Ki Woo, précédemment CEO de Ditto, un fournisseur de services bancaires en marque blanche, dresse un panorama des moyens de paiement et de leurs récentes transformations.
La carte bancaire : décryptage, entre mythes et réalité
Pour commencer, revenons sur quelques définitions. Il existe aujourd’hui pas moins de 5 moyens de paiement :
- Les espèces, soit les pièces et billets, sont le seul moyen de paiement à avoir un cours légal, c’est-à-dire qu’aucun commerçant ne peut refuser les paiements en espèces ;
- Les chèques ;
- Les cartes ;
- Les virements ;
- Et les prélèvements.
En France, 56% des paiements, en volume, sont réalisés par carte, et 8% par virement. Pourtant, ce rapport de force s’inverse lorsque l’on regarde les transactions en valeur : avec un virement moyen à plus de 3 000 euros, le virement représente 53% des transactions quand la carte compte seulement pour 2%. D’ailleurs, avec un paiement moyen par carte à 42 euros, la très grande majorité des paiements de la vie quotidienne peuvent être réalisés en « sans contact », notamment depuis que le plafond de ce mode de paiement a été relevé à 50 euros.
En parlant de carte, il en existe 4 grands types :
- La carte de débit est assise sur un compte courant ;
- La carte de crédit, assise quant-à-elle sur une ligne de crédit. Aux États-Unis par exemple, on a souvent une carte de débit, et une – voire plusieurs – carte(s) de crédit ;
- La carte prépayée est assise sur un compte de monnaie électronique. Le compte doit donc être rechargé. Initialement, la plupart des néobanques ont commencé par proposer des cartes prépayées (Nickel, N26, Revolut…) avant d’évoluer vers des comptes courants ;
- La carte business est assise sur un compte professionnel ou d’entreprise.
Profitons-en, aussi, pour tuer quelques mythes :
- La carte bleue n’existe plus en France. Carte Bleue était à l’origine un groupement d’établissements bancaires (BNP, CCF, Crédit du Nord, CIC, Crédit Lyonnais et Société Générale) qui travaillait avec le réseau Visa. D’autres établissements concurrents, le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel, avaient créé un autre système en lien avec Mastercard. Lorsque les deux groupements ont fusionné, le logo CB (pour Carte Bleue) est resté, prenant le sens de « Carte Bancaire ». Parler de carte bleue de nos jours est donc un abus de langage hérité de l’histoire de la carte dans notre pays.
- La carte de crédit est peu présente en France, la plupart des cartes étant des cartes de débit. Parler de carte de crédit relève donc de l’influence de la culture américaine, en revanche le débit différé est une spécificité française.
- Visa et Mastercard sont les deux principaux réseaux internationaux de paiement, alors que American Express est un système privatif (voir plus loin).
Le « modèle à 4 coins » : cartographie du paiement par carte
Le paiement par carte, comment ça marche ? Le porteur de carte obtient une carte de paiement auprès de sa banque, dite banque émettrice. Lorsqu’il règle un achat chez un commerçant, sa carte est lue par un terminal de paiement qui a été fourni au commerçant par sa banque, la banque acquéreuse. Les réseaux Visa et Mastercard fournissent le « schéma » de paiement entre l’émetteur et l’acquéreur, c’est-à-dire des services transactionnels avec un certain nombre de règles fonctionnelles et réglementaires.
Il existe aussi des systèmes privatifs à 3 coins : la même entité est émetteur et acquéreur, l’exemple le plus connu étant American Express. C’est aussi le cas en France des cartes de crédit distribuées par les commerçants comme le Printemps ou les Galeries Lafayette, qui s’affranchissent des réseaux de paiement puisque leurs banques partenaires sont à la fois émetteurs et acquéreurs des transactions de paiement.
Commissions d’interchange, intérêts et cotisations : les principales sources de revenus sur le paiement
Le business model d’un réseau de cartes s’établit de la façon suivante :
- L’acquéreur perçoit une commission sur chaque paiement, généralement un pourcentage du montant du paiement ;
- L’acquéreur doit reverser une partie de cette commission à l’émetteur : c’est l’interchange. Il paie aussi des frais au réseau qui fait passer la transaction ;
- L’émetteur a donc 3 sources de revenus : l’interchange versé par l’acquéreur, la cotisation payée par le porteur de la carte (qui est assez élevée en France et quasi-nulle dans certains pays), et les intérêts si la carte est une carte de crédit.
L’interchange, au centre d’une intense bataille
L’interchange est fixé par le réseau de paiements. Les marchands considèrent depuis longtemps qu’il s’agirait d’une entente sur les prix entre émetteurs et cherchent à le faire réglementer à la baisse, voire le réduire à zéro.
En Europe, l’interchange est limité à 0,2% pour les cartes de débit et 0,3% pour les cartes de crédit.
Aux États-Unis, l’interchange est bien plus élevé : entre 1,5 et 2,4% pour les cartes de crédit, ce qui permet des programmes de cash back généreux, et 21 cents + 0,05% par transaction pour les cartes de débit (règlementé par la loi Durbin, suite à un fort lobbying des marchands et à la crise financière de 2008).
En France, le business model des paiements par carte repose donc davantage sur les cotisations payées par les porteurs de cartes, tandis qu’aux États-Unis c’est l’interchange et les intérêts sur les cartes de crédit qui sont les plus rémunérateurs.
Les entreprises traditionnelles résistent, mais de nouveaux acteurs font bouger les lignes
Fusion entre Fiserv et First Data, entre Global Payments et T-Sys, rachat d’Ingenico par Worldline… on observe ces dernières années une consolidation des acteurs historiques, qui tend à se poursuivre car les économies d’échelle à réaliser sont importantes.
Par ailleurs, plusieurs acteurs du paiement en ligne ont fait une percée extraordinaire : les américains PayPal, valorisé à 280 milliards de dollars, et Stripe valorisé à 100 milliards, tout comme le néerlandais Adyen qui compte pour à 65 milliards… et leur croissance ne semble pas près de s’arrêter.
Enfin, le champ des possibles continue à s’ouvrir avec de nouveaux entrants :
- Depuis quelques années déjà, avec des innovations sur la carte : paiement mobile, sans contact, Apple Pay et Google Pay ;
- Et des innovations sur le terminal de paiement : le soft POS (Point Of Sale) consiste à transformer un mobile en terminal de paiement, avec des spécifications internationales prêtes depuis un an et demi ;
- Le virement instantané, l’initiation de paiement et le request to pay vont introduire de nouveaux cas d’usage et déporter une partie des paiements vers les virements ; les commerçants seraient alors gagnants, quand les grands réseaux internationaux et les émetteurs de cartes seraient perdants… Cependant, les business models autour des virements ne sont pas encore stables. On voit aussi que les grands réseaux font des investissements dans les services de virement ;
- Les banques européennes se sont réunies pour créer leur propre réseau de paiement, nommé European Payment Initiative (EPI), en parallèle aux réseaux Visa et Mastercard.
Et les crypto-monnaies dans tout ça ?
Les crypto-monnaies sont des monnaies virtuelles, qui n’existent pas dans les comptes des banques commerciales ni dans les banques centrales, mais qui existent ailleurs, dans des réseaux entre ordinateurs. On voit apparaître des monnaies privées, qui seraient assises sur un panier d’autres monnaies, c’est le cas notamment pour le Libra de Facebook.
Des États seraient tout à fait en mesure de créer leur propre crypto-monnaie : la Chine serait sur le point de le faire, afin de profiter des nouvelles possibilités de ces technologies, comme l’insertion de règles de fonctionnement directement dans la monnaie. Certains parlent ainsi de monnaie programmable.
Est-ce la fin du cash pour autant ?
Certes l’utilisation du cash baisse, surtout pour les petits paiements qui se font de plus en plus via le sans contact, et en particulier dans les pays nordiques qui sont très avancés dans cette voie. Néanmoins, la Suède qui avait annoncé la disparition de ses pièces et billets a dû faire marche arrière sous la pression politique, car cela soulevait des problématiques relatives aux libertés individuelles et à l’inclusion sociale. Longue vie aux espèces !
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Qui est Mung Ki Woo ?
Mung Ki est un dirigeant international, spécialiste du digital dans les services financiers :
- X-Télécom, il a passé 12 ans à l’étranger (UK, USA) et a dirigé des équipes sur tous les continents ;
- Chez Orange, il a créé le service Orange Money en Afrique, qui est aujourd’hui utilisé par plus de 50 millions de personnes ;
- Il a dirigé le paiement mobile chez Mastercard à New York ;
- Il a également dirigé le digital pour les clients personnes morales de BPCE ;
Fin 2018, Mung Ki a pris la direction de Ditto, une activité de banque digitale qu’il a orientée, avec succès, vers des services en marque blanche. Suite au COVID-19, l’entreprise a fermé à l’été 2020. Il est actuellement consultant pour des scale-ups tech et des fonds d’investissement.