« Je suis un vieux de la vieille des Fintech et des banques digitales, plaisante Emmanuel Papadacci-Stephanopoli lorsqu’il doit se présenter. Avec les premières banques digitales créées vers les années 2000, cela fait presque vingt ans. On est à deux doigts que le monde des startups devient un vieux monde. ».
Le Chief Product Officer revient donc sur deux décennies d’évolution au travers de ses multiples expériences dans différents groupes, mais aussi à l’Observatoire des Fintech dont il est le vice-président.
L’innovation bancaire : de saugrenue à bienvenue
Emmanuel Papadacci-Stephanopoli nous rappelle que l’innovation n’est pas quelque chose qui allait de soi quand il a débuté dans ce milieu :
« Le fait que les banques puissent innover était vu comme quelque chose de saugrenu. Les banques évoluaient surtout en fonction des nouveautés réglementaires : tu avais un nouveau produit quand l’État inventait un livret. Il y a soudainement eu une sorte d’essor de l’innovation et de l’entrepreneuriat dans ce secteur bancaire qui est passé d’un marché où tu avais cinq groupes bancaires, à un secteur où il y a plus de cinq cents entreprises en France. »
L’entrepreneur s’est donc retrouvé au bon endroit, au bon moment et s’est retrouvé à la fois à créer un certain nombre d’entreprises, à être représentant de l’actionnaire également, mais aussi à gérer des plus grosses opérations M&A de Fintech.
Il s’est aussi rendu compte que le modèle des startups n’était pas toujours le meilleur pour réussir. C’est à ce moment-là qu’il s’est intéressé au modèle des startups studio.
Le startup studio pour hacker le modèle des startups
Emmanuel Papadacci-Stephanopoli n’adhère pas au mythe dominant de la startup fondée par un entrepreneur seul dans son garage. Dans les faits, les statistiques sont assez peu probantes : 9 entreprises digitales sur 10 font rapidement faillite.
« Le modèle du startuppeur super héros qui possède tous les super pouvoirs n’existe pas, martèle-t-il. Il s’agit d’un mythe qu’il faut casser. Le seul modèle qui permet de hacker ce taux d’échec, que j’ai vu dans ce secteur et que je trouve assez incroyable, c’est celui des startup studio. C’est pour ça que je suis là aujourd’hui ! Ils ont un taux de succès à trois ans qui est autour de 80 %. »
Mais qu’est-ce qui explique cet écart entre 10 % et 80 % de réussite ? Quand Emmanuel vient décrire son métier, il explique que pour créer une entreprise, il faut en regarder des dizaines. Il s’agit donc d’un travail de fourmi. La Fabrique by CA passe chaque boîte dans le tamis d’une méthode qu’ils nomment les 7D pour sept dimensions.
« Il s’agit d’un tamis de règles que l’on a basé sur l’expérience du lancement des douze autres entreprises. On fait des retours d’expérience constants où l’on se demande pourquoi ça a réussi ? Pourquoi ça a échoué ? Et à chaque fois on ajoute des critères. Cela nous permet de savoir si les boîtes sont compatibles ou non avec l’ADN de la Fabrique, et quelles sont leurs chances de succès. »
Emmanuel Papadacci-Stephanopoli ne prétend pourtant pas que l’explication viendrait d’une densité plus grande de talents. C’est parfois même l’inverse. Il existe pourtant une grande différence entre la personne à qui l’on demande de construire une voiture pour la première fois, et celle qui a déjà plusieurs décennies d’expérience. Tout se joue autour de cette notion très simple : l’expérience. Un startup studio est en mesure de capitaliser sur les réussites et échecs précédents pour arriver bien mieux préparé que la plupart des entrepreneurs individuels.
Les particularités de l’équipe produit de La Fabrique by CA
Cet alignement des intérêts qui permet à une structure de venir industrialiser la création d’entreprise vient aussi de la structure même d’un startup studio.
« Dans le monde des startups et scale-ups, il y a d’un côté les créateurs et de l’autre les financeurs, explique Emmanuel Papadacci-Stephanopoli. Le startup studio permet de rassembler les deux mondes. » Un fonctionnement qui apporterait donc un avantage important pour les entreprises qui en sont issues
« Dans le cas de la Fabrique by CA, précise-t-il, on nous demande de créer des startups qui viennent compléter le modèle de demain du Groupe Crédit Agricole. » La démarche n’est donc pas financière, avec l’objectif de revendre une startup et « faire une plus value » pour reprendre l’expression consacrée quand la volonté est de revendre au double du prix d’achat. L’enjeu est entièrement stratégique. Une particularité qui vient aussi encourager la startup à s’hybrider au grand groupe autant que possible.
« J’ai souvent vu une tendance à protéger la startup en la mettant à côté du corporate. Sauf que lorsque tu sépares trop les deux mondes, que tu les rends étanches, on vient créer une impossibilité à ce qu’ils travaillent ensemble plus tard. Ils ne parlent pas le même langage, ils ne se comprennent pas, ils n’ont pas les mêmes contraintes réglementaires… ils se sont créé une histoire dans leur tête qui est totalement différente. »
La Fabrique by CA encourage les entrepreneurs à rester autonomes, à surtout faire leur développement commercial en dehors du Groupe, tout en favorisant une hybridation native pour que l’on ne se retrouve pas par la suite avec une situation de greffe qui ne prend pas.
L’autre secret de fabrication employé au sein du startup studio, c’est la création de plusieurs visions pour la boîte dès le premier jour.
« Il faut en même temps imaginer une V1, une V3 et une V13 ! Avoir dès le début une vision à trois ou six mois de sa boîte, une autre à deux ou trois ans et une dans cinq ans. Parce qu’il faut en même temps pouvoir raconter l’histoire aux actionnaires du studio des débuts, ce sont des financiers qui vont sortir dans deux ans. Ensuite la V3, c’est la vision du passage vers le monde des scale-ups avec un relai de croissance. Si on ne sait pas comment elle devient une scale-up : on n’y va pas ! Et la V13 c’est une sorte de pré-pitch de pourquoi on devrait racheter cette boîte dans 5 ans. C’est un exercice très important quand tu dois te plugger avec un actionnaire stratégique comme le Crédit Agricole. Il faut pouvoir se projeter dans ces différentes étapes. »
Valentin Pringuay