14 janvier 2022

Des 4 "P"​ aux 4 "E"​ pour un nouveau mix marketing à l'heure du digital

1 min

Ecrit par
Laurent Darmon
Laurent Darmon
Directeur Général
Laurent Darmon

Le digital rebat les cartes de la stratégie opérationnelle des entreprises en changeant certains réflexes. Les acteurs gagnants du numérique prennent des parts de marché car elles ont structuré nativement leur marketing autour de concepts clés prépondérant pour attirer, transformer et conserver leurs clients : E-marketing, Engagement, Ecosystème et Expérience. Les quatre "E" d'un mix marketing aujourd'hui renouvelé et rehaussé par la correcte gestion de la data et l'amélioration continue.

Même si l’on en parle beaucoup, l’e-commerce ne représente encore que 15% de l’activité commerçante en France, soit tout de même un achat sur sept. Mais ce chiffre ne traduit qu’imparfaitement la dynamique actuelle. On était à 10% il y a 2 ans avant la crise sanitaire. On compte déjà plus de 210.000 sites marchands pour 300.000 points de vente de détail. Et la tendance est clairement en faveur des e-commerçants avec une cinquantaine de nouveaux sites par jour. L’essor du commerce sur mobile (déjà un quart de l’e-commerce) assure d’ailleurs une forte dynamique pour les prochaines années. C’est pourquoi les observateurs s’attendent à un taux de pénétration de 25% de l’e-commerce dans l’activité commerçante en 2025 (source Marketwatch).

Mais le poids de l’e-commerce se mesure aussi à l’aune de l’utilisation qui est faite des sites d’e-commerce pour s’informer ou pour finaliser un achat repéré en magasin (omnicanalité). Ainsi 8 acheteurs sur 10 disent-ils se renseigner sur internet avant d’acheter, souvent même dans le magasin (pour les produits blancs et bruns par exemple). Cette proportion grandit en fonction de la valeur du bien à acquérir. Autre tendance liée à l’omnicanalité, on commande sur internet pour aller chercher dans le magasin ou finaliser l’achat en magasin (click & collect).

On pourrait croire que les leviers du commerce restent inchangés. Les quatre principes semblent les mêmes : attirer le client, lui donner envie d’acheter, finaliser la vente et l’inciter à revenir. Pourtant, si de nouveaux acteurs se sont imposés face aux commerces traditionnels, c’est que la différence est loin d’être mineure. Certains l’ont déjà payé cher. Même La Redoute, ex-champion du commerce à distance depuis un siècle, a raté le tournant de l’e-commerce, battue par une librairie en ligne de Seattle.

Le mix marketing traditionnel a été théorisé par Neil H. Borden, puis synthétisé avec la règle de quatre P par E. Jerome McCarthy dans les années 60 [1]. On y retrouve les 4 politiques suivantes portant sur les « 4 P » :

  • la politique de communication (promotion),
  • la politique de distribution (place),
  • la politique du produit (product),
  • la politique de prix (price).

Cette approche était bien adaptée lorsqu’il convenait de communiquer autour d’une marque pour attirer dans un magasin un client qui allait challenger le produit par rapport à son prix.

Qu’en est-il lorsque :

- La communication ne cite plus ni le produit, ni la marque (inbound marketing) ;

- La distribution est une galerie marchande virtuelle (marketplace) ;

- Le produit est différent pour chaque utilisateur (Page d’accueil Netflix) ;

- Le prix n’est pas indexé au coût de revient (freemium).

Dans ce nouveau monde, les quatre P doivent se recomposer entre eux et des concepts (pas toujours nouveaux) prennent une importance déterminante. On les appellera les quatre E et ils constituent une modernisation du mix marketing traditionnel : E-marketing, Engagement, Ecosystème et Expérience.


1. E-marketing vs Communication (Promotion)

« Leave the gun… Take the canollis” (Clemenza dans Le Parrain)

La communication a pour fonction d’attirer le client vers la marque ou le produit. La politique de communication comprend traditionnellement la publicité, le marketing direct et la promotion des ventes. L’économie de l’internet s’est adaptée en proposant un référencement payant (SEA) – sur un moteur de recherche ou un réseau social - qui correspond assez bien au modèle de publicité classique : une annonce sur Google rappelle celle dans les Pages Jaunes tandis que Facebook ou Youtube ne sont que des médias qui proposent de la publicité.

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L’un des problèmes de cette démarche est son coût et sa pérennité une fois les investissements arrêtés. Dès que l’on arrête le référencement payant, on disparaît. C’est pourquoi une stratégie e-marketing gagnante consiste aussi à faire venir le client de lui-même (inbound) plutôt que d’aller le chercher (outbound). Technique devenue centrale du growth hacking, le marketing entrant consiste à offrir du contenu intéressant pour le prospect comme un blog ou des ressources gratuites.

C’est l’approche du Crédit Agricole vis-à-vis des créateurs d’entreprise : il ne s’agit pas de mettre en avant les produits – finalement comparables d’une banque à une autre – mais sa capacité à rendre des services par du conseil et des informations pertinentes. Le site JeSuisEntrepreneur.fr propose ainsi un blog d’information mais aussi des fonctionnalités en ligne gratuites pour créer un business plan, faire son étude de marché ou encore identifier où s’installer (par rapport la concurrence ou à son cœur de clientèle). Au global, c’est plus de 150.000 visiteurs qui viennent mensuellement sur le site.

Cette approche devient d’autant plus pertinente que l’application plus stricte de la RGPD et l’impact d’iOS 14 en matière de tracking ont réduit de 30% d’un coup la pertinence des campagnes sortantes au quatrième trimestre 2021.

À l’inverse, moins intrusif, l’inbound marketing assure une meilleure transparence de la relation client : le prospect vient spontanément au regard de l’intérêt qu’il porte à ce qui est proposé par la marque. Le contenu peut s’adapter à la position du prospect dans le processus d’achat (analyse du problème, recherche de solutions, évaluation des options, décision et réassurance). Il est particulièrement adapté sur les marchés de niche.

De plus, c’est un investissement rentable sur la durée, car le contenu reste et participe à l’image de marque. On retrouve ici les vertus qui ont permis à la Fnac de s’imposer dans les années 80 : guides d’achat, nouveautés musicales à écouter, vendeurs conseil… Une approche devenue trop coûteuse par rapport à l’économie digitale qui peut proposer des ressources au plus grand nombre pour un coût marginal (pas d’impression papier, pas d’infrastructures physiques, pas de charges RH directes). Même la Fnac a dû y renoncer dans ses magasins.

La politique d’exclusivité sur certains contenus culturels relève d’une logique comparable. Amazon Prime Video est offert à tous les abonnés d’Amazon. Certains chanteurs ne sont disponibles – temporairement – que sur Spotify, y compris dans sa version gratuite.

L’E-marketing n’est donc pas la transposition de la communication à l’univers du digital. Le support numérique permet de réinventer la façon de s’adresser au consommateur.


2. Engagement vs Distribution (Place)

« Gentlement, you had ma curiosity, but now you have my attention » (Calcin Candie dans Django Unchained).

On sait que les trois règles fondamentales du commerce sont l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement ! Difficile de transférer cela directement dans l’e-commerce. On doit faire du référencement naturel (mots-clés, qualité de la zone centrale, liens de sites externes…), mais cela ne suffit pas.

Ainsi, le taux de rebond est couramment de 50% (c’est comme si un client sur deux qui poussait la porte d’un magasin sortait immédiatement après être rentré). Et le taux d’abandon d’un panier tourne en moyenne autour de 75% en retail (comme si les trois quarts des clients ressortaient de la file de caisse). L’engagement nécessaire pour rentrer dans un magasin est intrinsèquement plus fort parce qu’il a nécessité un effort pour venir et rentrer dans la boutique, là où sur le web tout est à une portée de clic. Avec le mobile, l’effort est encore plus faible car une partie de l’audience est juste là pour occuper son temps.

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L’engagement permet de transformer des visiteurs en leads qualifiés et surtout en clients. Sur le fond, il faut passer de l’attention au désir et générer le passage à l’acte. Une phase qui fait à la fois appel au rationnel et à l’émotion via la mise en avant de la proposition de valeur, le sentiment d’urgence, la différenciation du produit, la mise en avant de valeurs… Pour quitter une approche considérée comme trop consumériste, les clients veulent faire confiance à une marque qui leur ressemble. Il ne s’agit plus seulement de s’identifier à une marque, mais aussi (surtout), à sa communauté de clients. D’où un dialogue continu depuis l’intégration des clients au processus d’amélioration de l’offre jusqu’aux réponses publiques aux avis clients, mêmes négatifs.

Dans la forme, comme le merchandising dans l’économie physique, la fluidité de l’interface et la qualité de l’expérience client sont alors clé : limiter le nombre d’écran, éviter des termes ambigus, réassurer, placer des boutons clic to action de façon pertinente, créer des tutoriels adaptés… La personnalisation du parcours et de la communication est aussi une option efficace pour stimuler l’engagement.

Plus encore qu’avec la vente de détail en magasin, dans le digital l’engagement au produit et à la marque se poursuit même après l’achat : le client a-t-il utilisé le produit, en est-il satisfait, a-t-il besoin d’aide en ligne, veut-il partager sa satisfaction comme son insatisfaction ? Les réseaux sociaux sont une caisse de résonance à cet engagement à la marque. Il est donc important de ne pas survendre en amont pour en tirer pleinement avantage en aval de l’achat.

Au global, cet engagement dans la marque permet d’assurer un rachat régulier pour amortir les Coûts d’Acquisition Client via la fidélisation et de développement d’un bouche-à-oreille positif pour trouver de nouveaux clients.


3. Ecosystème vs Produit (Product)

« We must think not as individuals but as a species » (Professeur Brandt dans Interstellar).

Pourquoi n’était-il pas possible de prendre la place de Coca-cola ? Parce que son succès est dans son produit breveté ? Pourquoi achète-t-on une Audi ? Pour l’image de marque et la solidité du produit.

Qu’en est-il de Google, Apple Facebook, Amazon et Microsoft ?

-       Les mêmes données circulent entre les différents appareils sous Androïd de Google ;

-       La vie numérique est facilitée en passant d’un appareil Apple à un autre ;

-       La richesse de Facebook est de connecter des milliards d’utilisateurs avec des millions d’applications ou de sites pour devenir le premier média du monde ;

-       Avec un seul abonnement à Amazon Prime et le même identifiant, on peut faire ses courses, écouter de la musique ou regarder un match de foot ;

-       Windows de Microsoft est moins convivial que IOS mais le consommateur y a ses habitudes et peut facilement utiliser les mêmes logiciels qu’au bureau.

Ce n’est plus le produit acheté qui fait le succès, mais son écosystème. Pour les GAFAM, chaque mouvement stratégique consiste à renforcer la puissance de cet écosystème. Amazon a ainsi compris très vite que pour garder son récent leadership, il lui fallait proposer l’accès à d’autres vendeurs. Uber ou Deliveroo ont fait leur succès uniquement en proposant un accès à une multitude d’acteurs historiquement segmentés, tirant ainsi leur force de la puissance de la multitude.

Pour des marques moins omnivores, la qualité de leur écosystème réside dans sa comptabilité aux normes du secteur (Airplay en musique par exemple) ou dans l’existence de connecteurs à des tiers (le triomphe des API).

Se penser dès l’origine en écosystème est devenu la norme de nouveaux acteurs disruptifs pour rapidement grandir et offrir une gamme de services larges et à valeur ajoutée. Une néobanque (Blank), un logiciel d’expertise comptable (Pennylane) ou encore un agent de musicien (Believe) ne peuvent avoir de l’ambition qu’en s’appuyant sur des partenaires qui renforcent leur puissance et leur attractivité.

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Même un nouveau site d’e-commerce standard va chercher à proposer des offres de fidélisation, des carte-cadeau, des achats groupés, plusieurs moyens de paiement, un chatbot, le partage sur les réseaux sociaux etc. C’est tout ce que propose Skultorea à son lancement après quelques jours de développement grâce à l’écosystème proposé par Wix et autres Shopify. Ces logiciels SaaS d’e-commerce donnent accès à des centaines d’applications pour moins de 30€ par mois et permettent d’intégrer l’ensemble des fonctionnalités normalisées en écosystèmes.


4. Expérience vs Prix (Price)

« You mustn’t be afraid to dream a little bigger, darling » (Eames dans Inception).

Le digital apprend à passer d’une logique d’optimisation d’un prix pour un produit donné à une optimisation de l’expérience pour un prix donné.

La notion de prix renvoie au coût de revient auquel on ajoute une marge. Dans l’économie des services digitaux, elle est totalement perturbée dès lors que le coût marginal d’un service supplémentaire vendu est quasi-nul. En dehors du coût d’acquisition, le coût pour gérer 1.000 clients ou 100.000 clients est identique pour Salesforce. Le prix est fixé par rapport à la propension à payer, mais pas seulement : un utilisateur est un futur client potentiel, d’où le modèle freemium. S’il est satisfait de son expérience, il en voudra sûrement plus et sera alors plus enclin à payer un service dont il connaît la valeur et dont il est certain qu’il l’utilisera. C’est l’expérience qui fait la valeur, et non l’envie d’acheter ou de posséder. Alors que Canal + vante la taille de son catalogue aux abonnés de MyCanal, Netflix investit sur son algorithme de recommandation pour tenter de proposer juste ce qui plaît à chacun (Cf. sa nouvelle fonctionnalité « lancer un titre »).

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Dans l’économie numérique, l’arbitrage entre croissance et rentabilité est clé. Il est souvent fait en faveur de la croissance. Il s’agit de garder un prix bas, voire de plus en plus bas, pour éviter l’arrivée d’un concurrent le temps que l’investissement technologique cumulé crée une barrière à l’entrée. C’est l’approche des géants de l’économie numérique: élargir les services offerts à ses abonnés (Amazon vs Fnac), augmenter le nombre de contenus inclus dans l’abonnement pour satisfaire chacun (Netflix vs Canal +), offrir des fonctionnalités gratuitement par mise à jour logicielle (Tesla vs. Renault).

L’enjeu n’est pas le prix mais la valorisation de l’expérience client. Il y a plus à gagner à ce qu’un client ramène trois prospects qu’à lui augmenter le prix de 10%. On parle de long time value (rentabilité client de long terme) aussi bien pour du logiciel SaaS que dans l’e-commerce des DNVB (Digital Native Vertical Brand), là où habituellement on évaluait la marge brute client en comptabilité analytique.

Il est donc normal que, pour l’e-commerce, l’évaluation de l’expérience soit au cœur du modèle. Toutes les marketplaces permettent de trier sur la note des revendeurs et/ou des produits tandis qu’une recherche sur Google sur un commerce donnera sa note moyenne avant même ses coordonnées. À l’heure du digital, même une agence bancaire est évaluée, troublant un peu plus la frontière entre le physique et le digital.

La publication des avis client change la donne. Pour le client, elle permet de pouvoir faire un achat avec une confiance plus forte dans la satisfaction apportée par le produit, et donc d’accepter un prix plus élevé que le minimum. Le prix n’est plus qu’une composante de l’expérience, et non la donnée fondamentale. Pour l'e-entreprise, une démarche de feedback optimisée l’aide à s’améliorer.


Au cœur de cette nouvelle démarche marketing des quatre E, il y a la donnée (analytics). Avec l'humain responsable, elle doit permettre de faire le lien avec le comportement du consommateur et l’action à promouvoir à chaque étape : de l'e-marketing à l’engagement, en passant par l’écosystème produit et l’expérience client. En effet, rien n’est figé et il s’agit d’assurer une véritable dynamique d’amélioration continue.

Une difficulté pour beaucoup d’entreprises de l’ancienne économie qui cherchent à devenir aussi des entreprises du digital.


[1] - Philipe Kotler va vulgariser l’approche et la rendre très populaire plus tard auprès des étudiants en commerce. Il amènera d’ailleurs plus tard un cinquième P avec People / personnel. Certains rajoutent Physical evidence et Process pour un total de 7, mais les puristes considèrent que People, Physical evidence et Process sont des sous-thème des 4P initiaux.

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